Nouveaux rapports à l'usager


Patrick BENAZET - novembre 1999

L'introduction des nouvelles technologies d'information et de communication (N.T.I.C.) dans les services administratifs semble incontournable et chacun, poussé par les grandes orientations nationales, se voit confronté à de nouveaux outils dont on comprend bien qu'il va falloir se les approprier pour tirer pleinement profit de ce gisement d'information qu'est l'Internet. Si de nouvelles pratiques sont prises en compte en interne, concernant l'utilisation des outils, la vraie problématique se trouve de l'autre côté de la vitrine. Il suffit de déambuler sur les forums de discussion audacieusement mis en place par différents ministères pour se rendre compte que l'usager pense et qu'il a des attentes souvent précises et exigeantes de son Administration qui affiche clairement une volonté de se moderniser et de se rapprocher de lui grâce aux nouvelles technologies. Seulement voilà, tout phénomène touchant aux N.T.I.C. est soumis à une progression exponentielle et suivre le rythme suppose une remise en question à une fréquence qui deviendra bientôt quotidienne si cette ascension folle n'atteint pas un seuil de stabilité. Il en résulte que l' adaptation aux nouveaux outils induit fatalement de nouvelles pratiques et que se rapprocher de l'usager implique que l'on prenne en considération ses attentes d'un point de vue bien plus qualitatif avec des notions de délai qui ne sont plus comparables à celles des traditionnels échanges de courrier administratif, tant les réseaux communiquent rapidement et tant l'usager est devenu un individu à part entière paradoxalement, alors que son contact est virtuel.

Une fois encore, management et communication vont se rencontrer pour traduire dans un soucis d'efficacité la volonté de dépoussiérer l'image d'une Administration encore perçue par l'usager comme un vieil appareil, et ce, malgré les immenses efforts de modernisation fournis par les services. Management et communication en effet, car il s'agit d'apparaître d'une part et de servir d'autre part, le tout dans la plus grande cohérence et en donnant la meilleure image de performance et d'efficacité quant au service rendu à l'usager. Le rapport qu'est en droit d'entretenir l'usager à son Administration n'a plus grand chose à voir avec l'habitus bureaucratique. Désormais il s'agit de faire vite, irréprochablement et efficacement. Ces notions ne sont pas nouvelles et pourtant elles prennent un nouveau sens. Vite, dans la plus part des cas où des délais de procédure ne sont pas inscrit réglementairement, cela signifie fournir l'information à l'usager avant même qu'il ne la demande. Irréprochablement, c'est à dire que le degré de précision doit être maximum à un instant donné mais surtout dans le temps. Et enfin efficacement du point de vue du fonctionnement du service, en considérant que les N.T.I.C. doivent apporter une valeur ajoutée et non pas dégrader le service rendu ce qui, nous le verrons plus bas, peut se produire rapidement alors que l'on croit mieux faire qu'auparavant.

Le rapport à l'usager au travers des N.T.I.C. passe essentiellement par un affichage informationnel en ligne d'une part et une communication individualisée par courrier électronique d'autre part. Ces deux pratiques bien que similaires à celles déjà bien connues du Minitel et du courrier postal induisent des phénomènes tout à fait nouveaux en interne qui relèvent bien du management et non pas de la technologie, même si cette dernière les induit. Il convient d'aborder d'une part la pratique de l'affichage informationnel en ligne et par ailleurs l'organisation liée à l'introduction du courrier électronique.

L'affichage informationnel en ligne se traduit le plus fréquemment par la création d'un site Web. Cette démarche très en vogue s'apparente à la fois à la publication institutionnelle et à la publication journalistique voire à la publicité. On retrouve dans ce processus tous les corps de métiers du monde de l'édition, de la publicité, de l'imprimerie, des arts graphiques, bref tout ce qui n'existe pas dans un service administratif traditionnellement axé sur la gestion. Se pose d'emblée le problème de la capacité que peut avoir un service à produire un tel service en utilisant les techniques rédactionnelles, graphiques et de mise en page électronique alors qu'aucune compétence n'existe parmi les personnels en place. La formation ne pouvant apporter la solution que si des aptitudes individuelles sont détectées ou connues en interne, la sous-traitance pouvant être une alternative efficace, se pose alors le problème de la capacité financière du service. L'infrastructure reposant sur des dispositifs informatiques, on aurait tendance à penser que ce genre d'opération peut être menée dans le cadre de l'activité dévolue traditionnellement à la Direction de l'informatique. Mais ne nous y trompons pas, même dans le cas où le budget informatique a été adapté, une fois le dispositif technique et de sécurité en place, les informaticiens ne sont plus d'un grand secours. Ils ne sont qu'exceptionnellement à la fois des spécialistes de l'informatique, des arts graphiques et de la rédaction administrative, et quand bien même le seraient-ils encore faudrait il qu'ils maîtrisent les contenus! Il faut donc, une fois les contraintes financières levées, envisager une structuration de la communication en ligne. Cela passe en général par une association forte des responsables de services et du chargé de communication, l'un veillant aux calendriers de publication et au respect des règles de mise en forme des informations les autres garantissant la validité et la pertinence des données mises en lignes. Ce dispositif est par définition permanent puisque dès le lancement du site sur l'Internet, l'usager en prend connaissance et en fait un "lieu" d'information où il estime être en droit de trouver les réponses à toutes ses questions. La principale difficulté repose sur ce caractère permanent, et nombreux sont les sites qui ne sont pas en mesure de s'actualiser. Rien n'est plus dégradant pour l'image d'un service qu'un site qui, flambant neuf, présentait toutes les caractéristiques d'un média efficace et qui est devenu obsolète par ses contenus au bout de quelques semaines du fait de l'incapacité de mise à jour. La tentation est donc grande de créer un site vitrine rempli de belles illustrations sur le service lui-même (situation géographique, historique, organigramme et trombinoscope) qui ne demande pas un grand travail d'actualisation, mais l'usager n'en retirera rien. La seule satisfaction dans ce cas revenant aux auteurs du site qui peuvent se targuer "d'être sur l'Internet". Ce dont l'usager à besoin, c'est d'informations fiables, donc à jour, et d'un déport des procédures du service vers lui; tout cela, où qu'il se trouve. L'accent doit donc être mis sur l'information d'actualité et les téléprocédures, c'est à dire tout ce qui permet à l'usager d'effectuer une démarche ou obtenir un renseignement fiable et officiel à distance. Ces deux points s'appuient sur une communication à double sens entre l'usager et l'Administration. Le premier, qui relève de l'information institutionnelle, doit permettre à l'usager de satisfaire ses interrogations sans se déplacer et doit dégager le service de cette tâche de renseignement souvent répétitive et consommatrice de temps. Le deuxième qui est d'un genre nouveau puisqu'il suppose qu'une partie des tâches soit laissée à l'initiative de l'usager, nécessite une nouvelle organisation en interne. Il convient notamment dans ce contexte de traiter une correspondance parvenue par la voie électronique au même titre qu'un courrier traditionnel. On devra donc s'attacher à concevoir les procédures déportées avec une grande rigueur. En effet il est inacceptable de retourner une notification du style "votre dossier est incomplet, veuillez nous adresser les éléments manquants énumérés ci-dessous" dans le cadre d'une téléprocédure. La validation du dossier doit être automatisée en ligne et seuls les dossiers complets et correctement renseignés pourront être transmis au service par le réseau. Reste que les pièces justificatives, dont la plupart sont des copies certifiées conformes, ne peuvent pas être acheminées par les réseaux informatiques, en l'état actuel de la réglementation. Cette limitation réglementaire, et non technique, restreindra le champ d'application des traitements déportés et forcera les services à moderniser leurs pratiques afin de pouvoir exploiter au maximum les téléprocédures. L'organisation interne se trouvera évidemment changée car le contact direct de l'usager avec l'agent chargé du dossier à ceci de nouveau, par rapport au contact téléphonique, c'est qu'il laisse une trace écrite. On devra donc mettre en place un management nouveau bien plus participatif et encore plus responsabilisant qui nécessite un pilotage accru. De plus ces services nouveaux étant mis en place à moyens constant dans la majorité des cas, il faut envisager de subtils redéploiement en terme de ressources humaines pour garantir le degré de réactivité rendu nécessaire par un média interactif.

La communication au moyen du courrier électronique semble quant à elle pouvoir apporter une amélioration sensible dans les rapports entre Administration et usager. On pense immédiatement aux zones éloignées, à l'absence de contraintes liées aux horaires d'ouverture des bureaux etc. Cette approche si elle se limite à la vision du côté de l'usager risque d'engendrer très rapidement de sérieux dysfonctionnement dans les services. Peut-on imaginer qu'une Administration ayant affiché ses coordonnées de courrier électronique sur son site Web puisse continuer à fonctionner traditionnellement avec les deux systèmes en usant des mêmes méthodes de management : l'un électronique, l'autre postal? On peut être tenté de répondre oui. Mais qu'en sera-t'il à l'usage?
Le processus d'échange du courrier électronique s'apparente à celui du courrier postal. On retrouve un bon nombre de phases communes aux deux procédés. Le cadre est bien délimité puisqu'il s'agit d'adresser un message d'un émetteur identifié à un destinataire lui aussi identifié. Cependant les choses se compliquent avec le courrier électronique du fait de la dématérialisation et du circuit emprunté. En effet le courrier lui-même n'a pas d'existence matérielle, sauf à l'imprimer, l'identification de l'expéditeur n'est qu'électronique donc difficilement assimilable à une identification par le biais d'une signature manuscrite et de la présence de coordonnées postales. Le média utilisé est rapide et direct ce qui interpelle sur les capacités à encadrer les échanges... Tous ces points sont à considérer individuellement, mais également dans un contexte global, pour bien comprendre les mécanismes qui peuvent amener rapidement à perturber le fonctionnement d'un service.

Le traitement des correspondances par courrier électronique est difficilement envisageable autrement qu'en exploitant systématiquement son caractère interactif. En effet un usager qui saisit une Administration par courrier électronique n'en attend pas moins une réponse par le même canal. Ce faisant l'organisation interne du service doit être bien pensée dès le départ au risque de ne pas fonctionner longtemps. On observe que le processus de traitement d'un courrier dans une organisation moderne appliquant un management participatif s'appuie sur une succession de va et vient des documents. Ceci s'explique par la répartition des tâches qui globalement est la suivante : réception et ouverture du courrier, transmission au responsable du service concerné, analyse rapide du contenu, enregistrement au chrono arrivée, transmission au collaborateur délégué, traitement de la réponse, retour au responsable pour relecture et validation, retransmission éventuelle en cas de correction, mise à la signature, retour de signature dans le meilleur des cas, adressage et mise sous plis de la réponse, envoi et enregistrement au chrono départ. Dans le contexte électronique, le processus décrit précédemment se trouve allégé de certaines étapes : celles liées à l'aspect matériel telles que l'ouverture et la mise sous plis, le postage, la gestion des chronos qui n'ont plus à être tenus puisqu'ils sont automatiques etc. Tout ceci se traduit par un gain de temps très sensible, gain de temps qui se trouve accentué par le raccourcissement des délais d'acheminement qui passe de plusieurs jours à quelques secondes. De plus un certain nombre d'intervenants ne sont plus nécessaires... On peut donc espérer réaliser une économie importante de moyens. Mais si des moyens humains sont dégagés et du temps récupéré le bénéfice n'est pas total car la réponse doit être formulée dans un délai plus bref du simple fait de la nature interactive du média. C'est cette interactivité qui est la plus délicate à intégrer. En effet la collaborateur délégué est en contact direct avec l'usager par un simple clic de souris. Cette relation est évidemment directe à tel point qu'elle se traduit par l'instauration spontanée de nouveaux circuits qui passent hors hiérarchie. Ainsi une affaire ayant été transmise dans la boîte à lettre électronique du chef de service fera l'objet d'un transfert direct dans celle du collaborateur qui pourra répondre directement à l'usager et expédier la réponse par un simple clic. Du fait le chef de service ne voit pas passer la réponse sauf si le collaborateur l'en a fait destinataire en copie. Mais dans ce cas le prochain échange se fera par retour de l'usager directement vers le collaborateur toujours par un simple clic de souris. Dès lors le suivi de l'affaire échappe au chef de service. On voit là qu'une réponse doit être apportée rapidement dans l'organisation du service. Il n'en existe pas une toute faite, chaque structure trouvera la sienne en fonction de ses spécificités.